Le problème de la brutalité policière auquel nous assistons depuis plusieurs semaines aux Etats-Unis est le résultat de décennies de tensions et un lien très profond avec la question raciale.
Lors des dernières semaines, nous avons souvent vu des images de la police américaine équipée comme si il s’agissait de l’armée : des véhicules blindés de transport de troupes, des lance-grenades, des drones et des fusils semi-automatiques… Plutôt que d’affronter de simples manifestants, la police a donné l’impression qu’ils allaient à la guerre. Ces images peuvent sembler choquantes pour nous en France mais elles sont devenues assez « normales » outre-Atlantique et rappellent par exemple les images de 2014 à Ferguson, dans le Missouri.

Alors qu’une grande partie de la gestion de l’application des lois aux États-Unis est déléguée aux autorités locales, l’acquisition d’équipements militaires provient du niveau fédéral. Plus précisément, le programme qui permet aux différents districts de police de s’approvisionner, souvent gratuitement, directement auprès du ministère de la défense est connu sous le nom de « programme 1033 ». Il a été adopté en 1997 par Bill Clinton dans le cadre du « National Defense Authorization Act ». Le programme prescrit et réglemente en fait le transfert de tout le matériel de guerre excédentaire des unités de combat à la police. Cette pratique a cependant une histoire beaucoup plus longue… Pour être plus précis, il faut remonter dans les années 1960.
En 1965, autre période de l’histoire américaine marquée par des tensions sociales et des troubles civils, l’administration Johnson a favorisé le renforcement des services de police locaux. Cette percée, réalisée dans le cadre de la « guerre contre le crime », a été la première à permettre aux forces de l’ordre d’acquérir du matériel de qualité militaire. (gilets pare-balles, hélicoptères, chars, fusils, masques à gaz et véhicules blindés anti-mines).

Puis, pendant les années 1970, Richard Nixon a lancé la tristement célèbre « guerre contre la drogue », une campagne gouvernementale hyper-agressive dont l’objectif était de nettoyer le flux croissant de drogue dans les rues américaines. Les policiers sont devenus des soldats en première ligne contre la criminalité généralisée dans le pays.
Dans les années 1980, la guerre contre la drogue s’est encore intensifiée et a surtout touché les quartiers noirs, exploitant l’hystérie collective autour de la circulation du crack et la perception d’une violence extrême liée à ses réseaux de distribution. Au cours de ces mêmes années, le Congrès a progressivement augmenté les peines pour de nombreux crimes liés à la consommation et à la vente de drogues, avec des peines de plus en plus disproportionnées qui ont inauguré l’ère de l’incarcération massive.
C’est dans cette atmosphère que les élections de 1988 ont eu lieu et il est donc plus facile de comprendre autour de quel thème elles ont tourné : la sécurité. Une fois élu, George H. W. Bush a encore augmenté les taux d’incarcération et la militarisation de la police. C’est à ce moment que la section 1208, le prédécesseur direct du programme 1033, a été incluse dans le budget de la défense de 1990, autorisant le transfert d’armes et de munitions directement du Pentagone vers d’autres agences, tant fédérales qu’étatiques, pour une utilisation dans les opérations anti-drogue.
En général, les républicains ont réussi à sensibiliser le grand public sur les thèmes liés à la drogue et à la sécurité. Compte tenu du contexte créé, il n’est pas surprenant que même les démocrates aient repris ces thèmes devenus une priorité pour tous. C’est donc peu surprenant de voir que ce sont les démocrates qui ont signé l’extension finale de la section 1208, rebaptisée programme 1033 en 1997, mais aussi la réforme du système de justice pénale en 1994 (écrite et promue par Joe Biden, aujourd’hui président des USA). Ces mesures ont une fois de plus eu un impact disproportionné sur la communauté afro-américaine.

Lors des émeutes de Ferguson en 2014, des images de policiers en gilets pare-balles ont été mises en avant et ont suscité une grande controverse, ce qui a incité Barack Obama à publier un décret limitant fortement le transfert d’équipements de l’armée nationale aux forces de police locales. Il va sans dire qu’en 2017, quelques mois après son entrée en fonction, Donald Trump a annulé cette mesure, rendant au programme 1033 sa capacité initiale et complète.
Nous avons vu avec les événements récents qui ne sont qu’une répétition des tensions de 2014 que les tensions se sont vraiment accrues depuis que ces mesures ont été prises.
Certains points de ce programme n’aident pas à calmer les tensions… Il est indiqué par exemple que tous les équipements qui ne sont pas utilisés au cours de la première année de leur acquisition doivent être restitués, ce qui incite évidemment à déployer des moyens excessifs même dans des circonstances qui ne l’exigeraient pas normalement. Un autre point très critique est le fait que le Pentagone distribue ce matériel militaire aux services de police, mais n’est pas tenu de leur fournir une formation sur la façon de l’utiliser.
Depuis le 25 Mai 2020 et l’assassinat de George Floyd, de nombreuses manifestations ont eu lieu en faveur d’une réforme radicale des services de police. Certaines administrations locales semblent avoir réagi en présentant des projets de restructuration plus ou moins radicaux. Seul le temps nous dira si les choses changeront… Nous n’avons plus qu’à croiser les doigts.
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